Peut-on oublier une langue apprise dans sa petite enfance ?

Peut-on oublier une langue apprise dans sa petite enfance ?

Qu’en restera-t-il ? C’est la question récurrente – et un peu angoissée –  que se posent les parents au sujet des langues apprises par leurs rejetons dans l’enfance ou la petite enfance, en particulier lorsqu’elles ne sont pas pratiquées par la suite. Nous y avions déjà consacré un billet de blog que vous aviez été extrêmement nombreux à lire.

La conclusion, basée sur une étude de C. Pallier datant de 2003, semblait sans appel : une langue apprise dans la petite enfance peut être oubliée aussi vite qu’elle est apprise si elle n’est pas utilisée ou du moins conservée jusqu’au-delà de la puberté.

Et pourtant. L’interprétation fine des résultats de cette étude a été remise en cause par de multiples autres publications. Fin 2014, J. Pierce, de l’université McGill au Canada, démontrait pour la première fois que la représentation neuronale d’une langue acquise dans la petite enfance est solidement ancrée dans le cerveau, même si le sujet n’a aucun souvenir conscient de cette langue suite à une cessation totale d’exposition.

Garçon devant son ordinateur

La démonstration faisait appel à des orphelins chinois adoptés vers l’âge de 13 mois par des familles françaises, et complètement coupes de leur langue d’origine. 12 ans plus tard, alors qu’ils n’avaient aucun souvenir conscient de leur langue, leur cerveau réagissait au système tonal de la langue chinoise exactement comme des locuteurs natifs chinois. En effet, à l’écoute de phonèmes prononcés avec des tons différents, leur cerveau faisait appel dans l’hémisphère gauche à ses centres du langage, alors qu’un groupe témoin de français sollicitait dans l’hémisphère droit les fonctions de traitement acoustique de signaux complexes non linguistiques.

Avoir un cerveau qui semble garder des traces de la langue de jadis alors que le sujet n’en a aucun souvenir conscient, cela sert-il à quoi que ce soit ?

Oui, comme l’avait écrit Leher Singh de la National University of Singapore dès 2011. Elle aussi s’était intéressée à des orphelins, cette fois du sous-continent indien, adoptés dans leur toute petite enfance par des familles américaines et complétement coupés par la suite de leur langue d’origine. Les langues indiennes comportent des contrastes phonétiques sur les “t” et les “d” qui sont imperceptibles à l’oreille des Américains. Bien des années après leur changement de continent, nos petits adoptés non plus ne paraissaient percevoir ces contrastes. Du moins initialement. Car après un mois d’exposition, les petits adoptés avaient fait des progrès considérables dans la discrimination de ces sons, contrairement à un groupe témoin de jeunes américains.

Petite fille avec son PC portable

Voici donc ce que la science nous enseigne à ce jour :

  • Vers l’âge d’un an, le cerveau du nourrisson perd à jamais la faculté de discriminer des sons (consonnes, voyelles, tons) absents de sa propre langue ou de son environnement linguistique. Pour percevoir des contrastes d’autres langues, il doit y être exposé pendant cette période critique phonétique autour de l’âge d’un an.
  • La non-exposition à la langue d’origine, par la suite, ne signifie pas qu’elle sera entièrement oubliée. Il en restera des traces inconscientes, neurologiques, qui en faciliteront le réapprentissage de manière significative.

Dès lors, il ne faut pas hésiter à exposer son enfant à une ou plusieurs langues cibles alors qu’il est encore nourrisson, même si ces langues ne sont destinées à être utilisées ou réapprises que plus tard. C’est un investissement qui ne peut être fait qu’à cette période critique de la vie. La quasi-totalité des parents l’ignore. Pas vous.

Pour en savoir plus :

Lara J. Pierce, Denise Klein, Jen-Kai Chenc, Audrey Delcenseried, and Fred Geneseea (2015). Mapping the unconscious maintenance of a lost first language. PNAS, february 2015, vol 112

Leher Singh, Jacqueline Liederman, Robyn Mierzejewski and Jonathan Barnes (2011). Rapid reacquisition of native phoneme contrasts after disuse: you do not always lose what you do not use. Journal of developmental science. 14:5 (2011), pp 949–959

Pallier C, et al. (2003). Brain imaging of language plasticity in adopted adults: Can a second language replace the first? Cereb Cortex 13(2):155–161.

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