Imaginez un groupe d’individus de même âge, mais tous différents, plongés dans un univers pédagogique parfaitement uniforme. Leur professeur, excellent, utilise une méthode unique pour l’enseignement ; les individus consacrent tous un temps identique aux activités langagières, selon les mêmes modalités, et avec la même motivation. Ils sont donc exposés aux mêmes facteurs d’acquisition de langue.
Et pourtant, certains apprendront mieux que d’autres. Pourquoi ?
On ne connaît pas forcément très bien l’explication de ces variations interpersonnelles, mais on a su leur donner un nom : l’Aptitude d’Apprentissage de Langue (dont on utilisera l’abréviation AAL). C’est en quelque sorte la variable explicative de dernier recours une fois épuisés tous les facteurs et éléments différenciateurs connus. En termes moins scientifiques, et en écartant les cas pathologiques, on dirait que la personne est plus ou moins douée pour l’apprentissage des langues, là où les spécialistes parlent d’une aptitude d’apprentissage de langue plus ou moins élevée.
L’AAL est étudiée depuis longtemps. John B. Carroll, un éminent psycholinguiste, en fut l’un des pionniers. Il développa même dans les années 50 le premier test pour la mesurer : le MLAT (Modern Language Aptitude Test). Ce test, encore en usage dans certains milieux gouvernementaux américains, s’appuie sur plusieurs composantes :
- la première phonémique,
- la seconde ayant trait à la mémoire associative,
- la troisième grammaticale,
- la dernière portant sur la capacité d’apprentissage inductif, autrement dit la capacité à déduire les règles gouvernant la structure de la langue.
D’autres tests existent, l’un des plus récents ayant été développés au début des années 2000 par Paul Meara. Celui-ci s’intéresse également à un ensemble de capacités : orales, visuelles, associatives, ou d’inférences grammaticales.
L’Aptitude d’Apprentissage de Langue est supposée relativement stable dans le temps, une fois la maturité développementale arrivée. Sans surprise, le niveau de langue atteint par un apprenant est d’autant plus élevé que son AAL est grande. La notion est tout de même soumise à une certaine controverse, en raison du risque de circularité : la qualité de l’apprentissage élève-t-elle à son tour l’AAL ?
En 2008, une équipe de chercheurs suédois emmenée par Abrahamsson s’est intéressée à la variation de l’impact de l’AAL avec l’âge.
En d’autres termes, l’impact de l’AAL est-il aussi important pour les enfants que pour les adultes ?
En langage commun, un enfant peut-il être plus ou moins doué pour les langues et cela conditionne-t-il son niveau d’apprentissage ? Une expérience a donc été menée sur 42 adultes espagnols ayant atteint un très bon niveau de suédois. Détail fondamental : 31 d’entre eux avaient appris le suédois dans leur petite enfance, et 11 après la puberté. Désormais adultes, les voilà alors soumis à un test d’AAL.
Comme les auteurs de l’étude l’avaient anticipé, l’AAL était un bien meilleur prédicteur de niveau atteint pour les apprenants adultes, que pour les enfants. Les sujets ayant appris adultes et atteint un très bon niveau avaient tous une AAL élevée, alors que l’AAL des apprenants enfants était très variable suivant les individus. Cela confirmait l’hypothèse suivante laquelle être enfant est en soi un avantage tellement important dans l’apprentissage des langues qu’il efface les différences d’aptitude de langue.
Pour être tout à fait précis, les différences d’AAL avaient effectivement été presque entièrement neutralisées, mais pas complètement – ce qui constitua une petite surprise.
Abrahamsson conclut donc qu’avoir une AAL élevée facilite significativement l’apprentissage de langues étrangères chez les adultes et donne peut-être un petit coup de pouce aux enfants. Mais si l’on regarde la confirmation principale de l’étude, on peut répondre à la question que vous vous posiez certainement : oui, votre enfant est suffisamment doué pour les langues, puisque c’est un enfant.
Pour en savoir plus :
Abrahamsson, N., & Hyltenstam, K. (2008). THE ROBUSTNESS OF APTITUDE EFFECTS IN NEAR-NATIVE SECOND LANGUAGE ACQUISITION. Studies in Second Language Acquisition, 30(04), 481–509.
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