Chercheur du Laboratoire de psychologie cognitive d’Aix-Marseille université et du CNRS (et codirecteur de la Fédération de recherche comportement, cerveau, cognition), Xavier Alario travaille sur la mémoire du langage en général et sur celle des mots en particulier.
Nous partageons avec vous quelques extraits d’un entretien accordé le 28 mars 2018 (Le Point) sur le thème des langues. L’interview complet Mémoire : cet horripilant mot sur le bout de la langue… est toujours disponible sur le site du média.
Quel est le but de vos travaux ?
Nous tentons d’évaluer la connaissance qu’à un locuteur de sa langue, celle qui lui permet de s’exprimer et de la comprendre. C’est une mémoire à long terme, puisque les mots – sont connus depuis l’enfance, et elle est relativement stable ; mais les recherches sur le langage sont un peu séparées de celles sur la mémoire en général, sans doute en raison de toutes les complexités grammaticales et linguistiques.
Quels sont les effets de l’âge d’apprentissage des langues ?
Cette question est difficile. Il y a une grande hétérogénéité parmi les bilingues, liée notamment à l’âge d’apprentissage. Les résultats dont je vous parle ont été obtenus chez des bilingues dits précoces, donc qui ont acquis leur seconde langue avant l’âge de 7 ans, et d’autres dits tardifs, de plus de 10 ans. Il est désormais admis qu’il existe une période pendant laquelle l’apprentissage – et pas seulement celui des langues – est particulièrement performant. Les études cognitives l’ont montré, la vie le confirme : il est bien plus facile d’apprendre une deuxième langue pendant la prime enfance.
Comment le prouver scientifiquement ?
Notre équipe a surtout travaillé avec des mesures de temps de réponse. Une fois que nous avons vérifié le niveau de mono ou de bilinguisme de locuteurs, nous leur demandons de réagir au langage, de lire des mots, de produire des réponses ou de nommer des dessins. Nous mesurons leur temps de réponse en fonction de différents paramètres des personnes ou des mots eux-mêmes, par exemple s’ils se prononcent de façon proche dans les deux langues (piano, à travers diverses langues) ou s’ils sont très différents (voiture). Nous en déduisons la manière dont est organisée leur connaissance des mots.
Dans mon laboratoire, nous étudions les formes de langage parmi les plus simples : des mots isolés (piano) et parfois des groupes de mots comme un groupe sujet (le grand piano). Il est impossible d’aller plus loin parce que la mesure est moins pertinente avec une phrase.
Nous, et d’autres, regardons, aussi grâce aux électro-encéphalogrammes (EEG) et à l’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) les aires cérébrales impliquées dans la mémoire du langage et comment elles communiquent entre elles.
Peut-on oublier totalement une langue dont on ne se sert pas ? Et au bout de combien de temps ?
Pour le bilinguisme, il y a un vieil adage « use it or lose it ». Pour ceux qui ont peu utilisé l’anglais récemment : « s’en servir ou la perdre ». En effet, il peut se produire un phénomène savamment appelé attrition, où l’absence de pratique fait oublier une langue bien connue ; on peut le constater dans la vie courante et le mesurer en laboratoire.
Il y a aussi d’autres exemples plus frappants
Des enfants qui maîtrisaient parfaitement leur langue maternelle avant d’être adoptés dans un autre pays où l’on parlait une langue très différente ne montraient aucune trace (cognitive ou neuronale) de leur premier apprentissage. On observe aussi que, à la suite d’Accidents Vasculaires Cérébraux (AVC), des bilingues peuvent perdre l’usage de l’une ou l’autre langue, selon des principes qui restent très mal compris.